Exploiter le pouvoir de la cocréation pour des villes durables

Accédez aux présentations et aux enregistrements de la série de webinaires : ici.

La cocréation est saluée comme une approche puissante pour relever les défis complexes auxquels les  villes doivent faire face, allant de la sécurité alimentaire au développement urbain en passant par la participation citoyenne. Entre septembre et novembre 2023, la plateforme Villes Durables a organisé une série de webinaires multilingues pour partager des informations sur les outils, les concepts et les perspectives de la cocréation. Ces webinaires ont présenté des exemples d'initiatives de cocréation à travers le réseau de la plateforme, démontrant qu'en rassemblant diverses parties prenantes et en adoptant une approche participative, nous pouvons développer des solutions innovantes et durables pour nos villes.

Pourquoi la cocréation est-elle importante dans le contexte des villes durables ?

L’expression "Plus facile à dire qu'à faire" est souvent utilisée lorsque nous parlons des processus de cocréation au sein des villes durables, où des domaines tel que le logement durable, sont intrinsèquement liés à d'autres aspects tels que les transports, l'environnement alimentaire ou les systèmes énergétiques. Ces problèmes interconnectés exigent que de multiples acteurs alignent et coordonnent leurs réponses. Heureusement, qu'il s'agisse de la conception participative des politiques en matière d'alimentation en milieu scolaire ou du réaménagement communautaire d'un quartier pour améliorer l'accès aux personnes avec un handicap, plusieurs méthodologies, outils et approches existent pour inciter les acteurs locaux à faciliter les collaborations, impliquant de manière significative toutes les parties prenantes clés dans un processus de cocréation.

"Afin d'orienter les villes vers la durabilité, la cocréation, qui implique la collaboration des personnes d'horizons différents et ayant des perspectives différentes, est cruciale." - Karlien Gorissen, coordinatrice de la Plateforme des Villes Durables, VVSG.

Les membres de la plateforme des villes durables définissent une ville durable comme une ville qui fonctionne dans le respect des limites de notre planète tout en assurant les conditions sociales minimales pour le bien-être de ses citoyens. Dans le but de partager et d'échanger des bonnes pratiques dans le contexte des villes durables, la plateforme a réuni des experts et des praticiens d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et d'Europe pour discuter de différentes expériences de cocréation, d'outils pratiques, de méthodologies et de perspectives.

Les messages clés des webinaires

Quatre messages clés sont ressortis clairement des différentes sessions :

  • La cocréation est un processus de collaboration qui rassemble diverses parties prenantes pour identifier, concevoir et mettre en œuvre des solutions à des défis communs. Elle nécessite de passer d'une approche top-down à un processus de prise de décision bottom-up et participatif.
  • Une cocréation efficace dépend d'un engagement fort des parties prenantes et de la création d'un environnement inclusif et équitable. Toutes les voix doivent être entendues et valorisées, quels que soient leur origine ou leur position.
  • La prise de décision participative est essentielle pour garantir que les solutions répondent aux besoins et aux aspirations de la communauté. Cela peut être réalisé par le biais de diverses méthodes, notamment des enquêtes, des ateliers et des groupes de discussion.
  • La cocréation est un processus itératif qui exige souplesse et adaptation. Au fur et à mesure que les conditions changent, les solutions peuvent nécessiter des modifications ou être remplacées.

Les détails des sessions sont présentés ci-dessous.

Tirer parti de la collaboration pour mettre en place des systèmes alimentaires durables et inclusifs

La première session a abordé les principes, les méthodologies et les approches pour faciliter les processus de cocréation. Mariela Wismann, directrice du programme Good Food for Cities pour l'Amérique latine, a fait part de l'expérience de Rikolto en matière de facilitation des processus multi-acteurs dans le contexte des systèmes alimentaires durables. Cela implique le développement, le pilotage et la mise à l'échelle de solutions qui tiennent compte des liens et des compromis entre les différents acteurs et domaines des systèmes alimentaires. Dans la pratique, Rikolto utilise cette approche pour faciliter la collaboration entre les producteurs, les commerçants, les consommateurs et les agences gouvernementales concernées, par exemple pour relever les défis de la sécurité alimentaire et de la traçabilité au marché traditionnel de Bau au Viêt Nam, ou pour attirer davantage de ressources et d'expertise afin de développer un modèle de chaîne alimentaire qui améliore l’accès à des aliments sains et sûrs sur les marchés traditionnels de Mbale, en Ouganda. Le dialogue et les relations sont au cœur de tout processus de cocréation, explique Mariela. Tous les acteurs ne peuvent pas participer au processus de cocréation et orienter les décisions et l'action avec la même efficacité.  Cela dépend de leur agenda et de leurs relations avec des acteurs plus ou moins puissants. Par conséquent, faciliter la connexion et le dialogue peut permettre aux parties prenantes de découvrir leurs points de vue respectifs, d'exposer leurs hypothèses, de trouver un terrain d'entente et d'ouvrir la porte à des perspectives inattendues.

 

Grap 01 : L'approche de Rikolto en matière de processus multi-acteurs (PMA)

Sur la base de cette approche, Rikolto a développé une boîte à outils pour faciliter les processus multi-acteurs. Il s’agit d’un ensemble de mentalités, de compétences et d'outils qui s'articulent autour de six domaines fondamentaux du processus de facilitation multi-acteurs:

  1. La pensée systémique
  2. Engagement des parties prenantes
  3. Vision commune et collaboration
  4. Système de gouvernance du PMA
  5. Apprentissage et changement
  6. Facilitation du dialogue multi-acteurs

"La cocréation est un art qui requiert de l'empathie, de la compassion et de la conscience de soi. Faciliter un dialogue multi-acteurs signifie clarifier les rôles et les responsabilités par des discussions ouvertes et transparentes, veiller à ce que toutes les voix (femmes, jeunes, personnes avec un handicap, etc.) soient entendues, renforcer la responsabilisation par des engagements formels, répondre à l'évolution des besoins et des circonstances et faciliter la coopération et la coordination entre les parties prenantes par le leadership" Mariela Wismann, directrice du programme Good Food for Cities pour l'Amérique latine, Rikolto.

Hélène Lambert, chef du projet « Participation citoyenne, Egalité des genres et Inégalités sociales », et Amal Erragh, coordinatrice territoriale d'Enabel, ont illustré comment la cocréation adaptée aux contextes locaux peut promouvoir un développement territorial participatif et multi-acteurs à travers deux initiatives d'Enabel au Maroc : le projet de réaménagement de la Jemaa el-Fna et le projet Tadafor. Ces deux projets reconnaissent la diversité culturelle, linguistique et géographique du pays, s'appuient sur l'environnement politique et priorisent l'inclusion des groupes marginalisés.

Le réaménagement de la place Jemaa El-Fna a débuté en 2007. Le processus de cocréation été fondé sur les principes de diversité des parties prenantes, consultation inclusive, solutions locales et adaptation culturelle. Cette dernière était au cœur de l'approche du projet : en intégrant des pratiques traditionnelles, les valeurs et les normes locales, le projet visait à préserver l'identité de la communauté. La rénovation a duré un an et demi résultant non seulement en une transformation physique, mais aussi en un renouveau culturel qui a suscité la fierté et un sentiment d’appartenance au sein de la communauté. Un espace a été créé pour les représentations traditionnelles et des éléments culturels ont été intégrés dans la conception de la place. Le processus de cocréation a permis d'identifier des zones pour les artistes de rue qui disposent ainsi des espaces pour pratiquer où exposer leur art.

Le projet Tadafor, mis en œuvre en partenariat avec des acteurs nationaux pour renforcer la participation de la société civile et des citoyens à la gouvernance locale dans cinq régions du Maroc, a intégré dès le départ un cadre de réflexion conceptuelle, le design thinking. Le design thinking est une approche à la résolution de problèmes centrée sur l'humain qui met l'accent sur l'empathie, la créativité et le prototypage itératif pour générer des solutions innovantes. Cette méthodologie a facilité la réalisation d'activités telles que des conférences citoyennes, des analyses approfondies de la participation des jeunes et des femmes, et de la numérisation.

« Nous avons réalisé une analyse du niveau de la participation des jeunes et des femmes, ainsi qu'une étude sur l'état de la numérisation des services et des outils de participation citoyenne. Cela nous a permis de mieux comprendre les principaux défis auxquels sont confrontés la plupart de ces acteurs." Amal Erragh, coordinatrice territoriale, Enabel au Maroc.

Le projet a non seulement aidé les acteurs locaux à élaborer des plans d'action, et notamment un programme de formation pour les organisations de la société civile sur la participation citoyenne par le biais de pétitions, mais il a également préparé le terrain pour la promotion la confiance mutuelle et la mise en place de des pratiques de collaboration efficaces en matière de gouvernance locale.

Hélène a également partagé six éléments du projet Tadafor qui ont contribué à la réussite du processus de cocréation : 1) la participation de toutes les parties prenantes, 2) l'analyse approfondie des besoins grâce à des consultations régulières, 3) la définition d'une vision commune qui reflète les aspirations des parties prenantes, 4) la promotion de l'innovation grâce à des solutions pilotées à petite échelle, 5) la priorisation de l'apprentissage et à l'évaluation continue, et 6) le respect de la transparence dans la communication.

Leçons tirées de la pratique en matière de coaching territorial, d'innovation collaborative et de budget participatif

Le deuxième webinaire a présenté les expériences de trois villes-régions : le coaching territorial dans la région de Kaolack au Sénégal, l'innovation collaborative pour un système alimentaire urbain durable à Bandung, en Indonésie, et la budgétisation participative à Copargo, au Bénin.

Le Dr Mahmouth Diop, directeur du Centre d'accompagnement territorial de Kaolack, a partagé son expérience dans la mise en œuvre d'une approche d'accompagnement territorial pour faciliter l'alignement des parties prenantes dans le secteur du sel. Après trois mois de coordination régionale par le Centre de Coaching Territorial, les parties prenantes ont pu élaborer et approuver un Plan d'Action Prioritaire détaillé. L'approbation consensuelle du plan a facilité la signature d'un protocole d'accord entre les principales parties prenantes, marquant ainsi une étape importante dans le développement économique de la région. Selon M. Diop, l'utilisation de l'approche de coaching territorial tout au long du processus a non seulement entraîné des avantages économiques tangibles, tels que l'augmentation du chiffre d'affaires de la coopérative de sel locale, mais a également amélioré la communication et un leadership dynamique au sein de la région.

"L'approche de l'accompagnement territorial émerge comme une réponse stratégique visant à aligner et à faire converger les diverses forces au sein de la région. Cette méthodologie est considérée comme un catalyseur de dialogue et de changement. Elle favorise le développement de comportements, de compétences et de visions qui sont essentiels pour une transformation globale". Dr Mahmouth Diop, Centre de Coaching Territorial.

Parmi les outils de cette approche, des activités telles que "le sociogramme" et le "café pro-action" ont été facilitées pour permettre une coordination multi-acteurs et territoriale. Le sociogramme a été utilisé dans les premières phases du processus pour caractériser la dynamique et les relations entre les acteurs du secteur du sel, en mettant en évidence les lacunes, en créant un vocabulaire commun et une compréhension partagée. Le Pro Action Café a fourni un espace dynamique pour des conversations créatives, profondes et inspirantes basées sur un ensemble de principes intégrés, générant ainsi une atmosphère collaborative et détendue pour générer de nouvelles idées, partager des connaissances et analyser des options d'action. Enfin, le cercle d'inclusion permet aux participants de se connecter les uns aux autres et d'avoir une vue d'ensemble mobilisant l'intelligence collective. Fort de cette expérience, le Centre de Coaching Territorial envisage de s'étendre à un éventail plus large de défis auxquels sont confrontées les communautés locales de la région de Kaolack.

Theresia Gunawan, experte en innovation et conférencière à l'Université catholique de Parahyangan à Bandung, en Indonésie, a décrit comment la cocréation a été utilisée pour développer des innovations durables pour le système alimentaire de Bandung qui dépend de zones extérieures pour son approvisionnement en nourriture et qui est confronté aux défis de la malnutrition infantile et du retard de croissance.

Pour résoudre ces problèmes et contribuer à l'objectif de l'ODD "Faim Zéro", un processus multi-acteurs "Bandung Food Smart City" a été mis en place à l'aide de la méthodologie "Pentahelix", impliquant les cinq principales parties prenantes : le gouvernement municipal, les universités, les ONG, le secteur privé, les citoyens et les médias. La plateforme a produit un certain nombre de solutions innovantes, telles que le Programme d'agriculture urbaine communautaire "Buruan Sae". La devise "Nous cultivons comme vous le souhaitez" (Mantap - maunya tanam apa ?) illustre bien l'esprit de collaboration du programme. Un exemple de collaboration intersectorielle est un partenariat avec un fournisseur gouvernemental pour aménager des jardins communautaires afin de fournir des produits frais aux employés. Une application mobile a également été lancée pour connecter les hôtels, les restaurants et les cafés afin de collecter et redistribuer les excédents alimentaires à ceux qui en ont besoin.

Au Bénin, la participation des citoyens à l'administration locale s'est toujours limitée au partage d'informations, la participation au processus de cocréation et à l'élaboration de politiques étant largement négligées. Franck Kinninvo, expert en décentralisation et en communication, a utilisé l'approche de la "commune ouverte" de Copargo, une municipalité du nord du pays, comme étude de cas pour discuter de l'état de la participation des citoyens aux affaires municipales.

La réforme structurelle nationale du Bénin reconnaît que les autorités locales jouent un rôle crucial  dans la démocratie de proximité. Dans le Copargo, les autorités locales ont adopté une approche proactive pour étendre la participation des citoyens au-delà de la simple responsabilité citoyenne, en introduisant un budget participatif partiel, un processus complet impliquant des décrets, des allocations financières et des forums au niveau du district et de la municipalité. L'exercice de budgétisation participative s'est déroulé comme suit : 1) des représentants de la municipalité ont mené des enquêtes au niveau du village pour mieux connaître les besoins de la communauté, 2) ces besoins ont été rassemblés au niveau du district ou du quartier et classés par ordre de priorité par le biais de forums et de votes, et 3) la sélection finale des initiatives à financer au niveau de la communauté s'est faite sur la base des ressources disponibles.

 

"Lors des forums de village et de quartier, nous avons recensé 67 projets des citoyens pour des services  sociaux de base. L'étape suivante a été de les prioriser dans le district. 12 projets ont été retenus". Franck Kinninvo, expert en décentralisation et communication.

L'approche de la "commune ouverte" à Copargo a conduit les citoyens à exprimer des demandes pour de services sociaux de base tels que des forages, des salles de classe et des centres de santé. Les processus de budgétisation participative peuvent promouvoir une citoyenneté responsable, encourager le devoir civique de payer des impôts et améliorer la gouvernance locale dans son ensemble.  Malheureusement, en raison de ressources limitées et d'autres difficultés, les initiatives prioritaires du processus de budgétisation participative n'ont pas pu être mises en œuvre au moment de la présentation.

Enfin, trois autres réunions en ligne ont été organisées en espagnol, en français et en anglais pour permettre à de petits groupes de praticiens de discuter de leurs expériences en matière de cocréation, des difficultés qu'ils rencontrent pour faciliter ces processus et des moyens de les surmonter.

La cocréation est un outil puissant pour créer des villes durables et équitables. En réunissant diverses parties prenantes et en adoptant des approches participatives, nous pouvons développer des solutions innovantes répondant à des défis complexes et former des communautés plus inclusives et durables.

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La plateforme Villes Durables

La plateforme Villes Durables a été créée dans le cadre d'un programme de subvention financé par le gouvernement fédéral belge DGD (Direction générale de la coopération au développement et de l'aide humanitaire) où les parties prenantes discutent, échangent et collaborent sur le thème des villes durables par le biais de la coopération internationale. Les villes durables sont des villes qui fonctionnent dans les limites écologiques de la planète tout en garantissant les conditions sociales minimales nécessaires au bien-être de leurs habitants. La plateforme compte 5 membres actifs : VVSG (Association des villes et communes flamandes) - l'organisation chef de file de la plateforme -, UVCW (Union des villes et communes de Wallonie), Brulocalis (Association des villes et communes de Bruxelles), l'ONG Echos Communication et Rikolto. Un certain nombre d'autres acteurs, y compris les partenaires des 5 membres principaux, des ONG, des acteurs institutionnels et Enabel sont étroitement impliqués dans les activités de la plateforme. Ensemble, ces acteurs œuvrent en faveur de villes durables contribuant à atteindre les ODD.

Article rédigé par Selene Casanova, communication globale, Rikolto